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Communiqués

Benoît Cazabon : pour une université française dans le moyen-nord de l’Ontario

par décembre 20, 2021juillet 3rd, 2023Aucun commentaire

Une université française dans le moyen-nord de l’Ontario? Pourquoi cette phrase se termine-t-elle par un point d’interrogation?

En êtes-vous toujours à évoquer la possibilité de son existence? À discuter des principes qui pourraient justifier sa création? Aux conditions de réalisations appuyées de statistiques et de modèles de fonctionnement?

Surtout, n’oubliez les facteurs de viabilité, domaine riche d’embûches et de fausses raisons pour tout abandonner. On vous l’a souvent répété, n’est-ce pas? « C’est pas rentable! »

Je ne peux parler que de ce que je connais, à un âge avancé, après plusieurs années en tant qu’étudiant et ensuite professeur dans des universités bilingues. Ce qui a fonctionné, c’était ma détermination personnelle. Comme ce le fut pour plusieurs d’entre nous. Disons, une capacité de vivre à contre-courant[1].

C’était un monde de survivance et on mérite mieux. Sans un environnement plus convivial, on « fait avec ». Il arrivera même qu’on vous le reproche: « Tu vois, tu as réussi. L’université bilingue t’a bien servi. » Non, je ne suis pas bien servi. Mais comptez-vous les éclopés du système? Moi si, je les ai connus dans mes classes. Sans compter tous ceux et celles qui ne s’y rendent pas. Encore ici, mettez des statistiques. Commencez en 1974, Diane Chaperon-Lor montre le taux d’attrition des francophones de l’avant-école secondaire de langue française.

Vingt ans plus tard, ou presque. La création du système collégial de langue française. (1989 La Cité et 1993 Boréal). J’avais produit un rapport pour une firme anglophone visant à justifier les réponses aux questions soulevées en début de texte[2]. En sommes-nous toujours là? Payer des études pour justifier notre présence en Ontario.

Viabilité avec ou sans les conditions de vie normale? 1978, création de l’Institut franco-ontarien. Produits nombreux éclairant la vie des francophones en Ontario. Milieu de vie communautaire normal. Pour nous, par nous, se dessinaient au grand tableau noir vide des projets de recherche exemplaires. Succès. 1984, je mets sur pied un Centre des langues officielles à l’Université Laurentienne. Il visait à mettre à niveau des lacunes linguistiques chez nos étudiants. C’était déjà admettre que les conditions de vie en milieu minoritaire laissaient dans son sillage des blessés. Trop près du problème, à l’intérieur du bilinguisme institutionnel assimilant : pansement de fortune, réussite mitigée. En 1987, je quitte la Laurentienne et crée le CRENO, Centre de recherche en éducation du Nouvel-Ontario pour le compte de l’Ontario Institute for Studies in Education (OISE). Grand succès de courte durée. Le temps de permettre à de nombreux étudiants d’obtenir une M.éd. (maîtrise en éducation), chez-eux dans le moyen-nord de l’Ontario. Aussi, de beaux projets de recherche réalisés avec des équipes du tonnerre. Beaucoup de projets d’appui et d’accompagnement dans les écoles françaises. Son échec? Ne pas avoir été intégré à une institution de langue française. Raymond Breton l’avait bien exprimé dès 1964. La complétude institutionnelle assure une dynamique interne qui nourrit les parties. Sans ce milieu complet, les parties s’effritent.

Dernier exemple, l’ACREF 1984. L’Alliance canadienne des responsables et des enseignants en français. Quelque vingt-cinq ans de vie active, congrès, publications, formation complémentaire. Imaginez: dix mille (10 000) enseignants et enseignantes réunis dans une association de Terre-Neuve à Victoria! Grande, très grande réalisation que l’impermanence a emporté. Son échec : le déclin du leadership et la vision discordante du projet éducatif en français au Canada.

Ce sont là des témoignages tirés d’une seule vie, la mienne. Il n’y a rien d’exemplaire à les évoquer sinon qu’ils représentent les hauts et les bas d’une carrière en milieu minoritaire. Ce sont souvent des entreprises visant à dépasser un état de survivance. Visant à créer un milieu de croissance normal du vivre ensemble universitaire et sociétal. Il s’agit d’un éclairage parmi tous les vôtres. Chacun, vous avez votre lumière propre sur cette réalité.

Vous aurez remarqué que je n’ai pas évoqué les mérites d’étudier dans sa langue. Ils sont les mêmes pour tous. Ce qu’il faut dire du vivre ensemble universitaire réalisé dans sa langue sans avoir à choisir, ce sont les retombées. Ces étudiants et étudiantes retournent dans leur milieu : ces personnes enseignent à la prochaine génération. Gèrent la Caisse populaire du village. Créent une entreprise. Soignent des malades. Ils se marient aussi et une 3e génération va visiter les grands parents. Certains continuent leur formation et reviennent enseigner à l’université de langue française du moyen-nord de l’Ontario. L’institution nourrit les individus, ceux-ci investissent l’institution.

J’aurais pu être tenté de convaincre les décideurs actuels du bien-fondé d’une université française dans le moyen-nord ontarien. Cette perspective pourrait ressembler soit à de l’orgueil de ma part (Que sais-je qu’ils ne savent pas déjà?), soit à la supplication insistante d’un inférieur auprès d’une autorité. Nous n’avons rien à enseigner ni à quémander ou réclamer. Nous sommes tous du même bord.

Ce texte s’adresse à nous tous. Ceux et celles des « casseroles de l’automne 1970 à Sturgeon Falls » pour la création de l’école française. Pas d’études, pas de statistiques, pas de délégations. Juste une coalition de tous et toutes réunis dans une même cause inclusive, interculturelle, de langue française. J’aimerais affirmer que je suis dans ce projet comme tous les francophones et francophiles du monde et je ne suis pas de ce projet.

Le moment est propice et c’est sûrement la dernière ouverture invitante : c’est au plus bas qu’on peut aller au plus élevé de soi-même. Par exemple, l’Institut franco-ontarien est né du fait que des Franco-Ontariens de toutes origines ont appliqué leur expertise à mieux connaître la réalité franco-ontarienne. Ces personnes créaient des cours sur la réalité franco-ontarienne. Des recherches inédites se sont transformées en publications, la Revue du Nouvel-Ontario est née. L’université de langue française était en gestation. La lacune a fait naître le besoin. Ne pas suivre le courant, mais s’engager dans le contre-courant pour notre avantage.

Benoît Cazabon
Linguiste, auteur, ancien directeur du département de français de l’Université Laurentienne (1983-1985) et cofondateur de l’Institut franco-ontarien

 

[1] Mattawa, à contre-courant, roman, Sudbury, Prise de parole, 206p. ISBN 978-2-89423-263-7 (Papier) ISBN 978-2-89423-438-9 (PDF) ISBN 978-2-89423-522-5 (ePub) (2012)

[2] « Contribution de l’institution collégiale au développement de la communauté francophone du Nord », rapport soumis à ACORD, Ottawa, 19 p. (1989)